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217 Km en parapente: le récit
D’EAUX-PUISEAUX à ST-DIE DES VOSGES
Dimanche 12 Septembre 2004. Je passe le week-end en Bourgogne. Il est 3h00 du matin et je contemple le ciel.
La nuit est lumineuse. C’est sans doute la plus belle nuit qu’il m’ait été donné de voir cet été. Un vrai
planétarium. L’absence de Lune aide à distinguer les étoiles. Mais c’est surtout la masse d’air qui est
limpide, pure, cristalline.
Le vent souffle de l’Ouest, il est « modéré à assez fort» comme dirait Jacques Kessler. Et l’air est froid.
Froid et sec : après les averses de l’après-midi, qui ont failli gâcher l’incroyable soirée où je me trouve,
la traîne vient de se mettre en place. Cette traîne semble d’une qualité exceptionnelle et présente tous les signes
aannonciateurs d’une grande journée de vol. Une bouffée d’excitation me saisit. L’adrénaline. Le plaisir du vol
commence bien avant le décollage, il naît dès la promesse d’une belle journée. Il faut que je dorme. Je décide donc
de monter me coucher sans plus tarder dans le petit château attenant à l’abbaye cistercienne de Vauluisant
(XIIème siècle, près de Sens - Yonne) où a lieu cette soirée des mille et une nuit, organisée par mon copain
Lorenzo. De toute façon la danseuse aux serpents et autres attributs hypnotisants a fini son numéro et, à
cette heure-là, les strip-teaseuses ne viendront plus… Je loge dans une petite chambre au dernier
étage du château. J’entends le vent mugir dans la tour principale. J’ouvre le velux qui donne sur l’Ouest,
un air froid s’engouffre dans la chambre. Dehors, la cime des arbres se couche et se redresse à intervalles
rapprochés. Il y a une grande intensité dans ce vent. Il reste quand même de fortes chances que ce ne soit pas
volable en journée. Je mets mon réveil à 10h00, le site où j’envisage éventuellement d’aller voler,
Eaux-Puiseaux, n’est qu’à 1/2 heure du château. Ce n’est pas mon réveil qui m’a sorti du lit : à 9h00,
je suis tiré du sommeil par le froid et le jour. Et surtout par l’envie de savoir si cette promesse d’une
journée exceptionnelle est tenue. Je me lève. Je regarde dehors. C’est le plus beau matin de l’année :
le ciel est du bleu des montagnes. Un bleu polaire, immaculé. Il s’est débarrassé de toute trace d’humidité.
La visibilité est exceptionnelle. Et l’air est toujours aussi froid, le vent souffle modérément, mais il a
faibli par rapport à la nuit. Et, au loin, une petite nuelle semble naître… mon état vaseux s’évanouit en une
fraction de seconde. S’organiser et vite. Je rassemble mes affaires, je me douche, je range ma chambre.
Je descends sans bruit par le grand escalier. Il fait froid. Tout le château est endormi. Au rez-de-chaussée,
j’entre dans l’immense salle voûtée où a eu lieu la fête. Elle est vide, tout le décor byzantin a été enlevé.
Ca fait bizarre, comme si rien n’avait eu lieu. Je traverse la cour de l’abbaye encore à l’ombre et je débouche
sur le parc, au soleil : la faible chaleur de ses rayons est un pur bonheur dans cet air vif. L’herbe est
encore mouillée de la rosée du matin. Je saute dans ma voiture. Direction Eaux-Puiseaux. Sur place
le vent n’est finalement pas trop fort, il a encore baissé par rapport au matin. Le ciel est déjà strié de
rues blanches, assez basses et pas encore plates à la base. Je décolle tout de suite et je commence à tracer
des huit devant le site. Ce site est très étonnant, c’est plutôt une pente école, une pente douce, avec un
faible dénivelé, mais un fort rendement. On y vole très près du sol et les cycles y sont souvent puissants.
Je suis rejoint sur le site par, entre autres, Daniel Vincent-Genod, Julien Dauphin et Martin Morlet.
Depuis quelques années, on se dispute les records de site avec ces trois-là. Il se trouve que depuis
le 14 Juillet celui d’Eaux-Puiseaux m’appartient avec un beau vol de 157 km qui m’a amené près de Nancy.
Alors je surveille les allées et venues des trois compères qui pendant une heure posent et re-décollent
au rythme des cycles thermiques. Je m’aperçois que les piles de mon GPS (outil indispensable pour valider
un vol de distance) sont quasi vides. J’atterris pour les changer. C’est alors que Julien décolle. Je vois bien
qu’il s’avise de rejoindre une belle rue qui grossit depuis un moment. Tant pis les piles attendront :
je décolle et m’engage dans le sillage de Julien. Au-dessus de moi je le vois monter en ligne droite.
A mon tour, à 20 m/sol je suis soulevé par le thermique. Assez sèchement d’ailleurs. Je plonge mon bout d’aile
dans le bord de la colonne et une montée assez chaotique commence. Le thermique nous fait
dériver au-dessus de la forêt. Je rentre et je sors de ce thermique couché, je suis vraiment en périphérie.
Finalement je finis par planter le bout de mon aile dans le noyau de la colonne et la montée devient puissante
et régulière, quel plaisir. A 800 m QNH je me relâche enfin : l’extraction est acquise et la rue qui nous tend
les bras est immense… Le reste du vol est une formidable randonnée aérienne dominicale en compagnie de
Julien. Au bout d’une heure de cross nous avons effectué près de 40 km.
Julien prédit « c’est une journée à 200 », je lui indique « On prend l’axe Chaumont - Epinal ».
Très vite nous quittons le pays d’Othe et sur notre gauche le lac de la forêt d’Orient disparaît.
Au km 90, après avoir passé la côte des Bars et survolé l’abbaye de Clairvaux (maison mère des couvents
cisterciens au XIIème siècle… et prison centrale aujourd’hui), nous arrivons effectivement au-dessus de Chaumont.
Juste après nous passons la Marne (le passage d’un grand fleuve est toujours un grand moment dans un grand vol).
Nous sommes euphoriques. Le fait de partager le vol double notre plaisir. On vole aile dans aile. Le rythme est
soutenu. On échange nos points de vue sur telle ou telle option. Certaines transitions sont délicates et chaque rencontre de thermique nous rempli de joie. Une fois on se trompe en choisissant une rue « cul de sac », et nous devons faire marche arrière en revenant sur celle quittée un peu auparavant. Mais à deux on est beaucoup plus fort. Un peu plus lents, mais plus forts. Au km 150, à hauteur de Vittel, nos traces se séparent : à la faveur d’une transition, je change mes piles, et je soulage une envie frisant l’insupportable. Peu concentré j’arrive un tout petit peu plus bas que Julien sous un cum assez discret. Il monte, je plonge… vers ce qui pourrait très bien être la fin de mon vol. Je me laisse dériver vers une limite forêt/ vallée en déprimant. Je vais rater une belle fin de vol,
je vais perdre mon record de site. Fait chier. Parti de 1600 mètres ce n’est qu’ à 200m au-dessus de la forêt que je touche enfin une bulle. Ça bipe sur 1/4 de tour. Toi je ne te lâcherai pas. Pendant un temps qui me paraît interminable je tente de rester en équilibre sur ce mince filet d’air qui refuse de prendre de la hauteur. Je gagne, je perds, je gagne, je perds. C’est stressant. Je suis dans le vent, qui couche le thermique et le rend encore plus difficile à tenir. J’intègre du 0. Finalement, au bout d’1/4 d’heure passé à une altitude globalement constante, je fais un cercle complet dans le positif, puis un 2ième, et c’est parti, quel soulagement !. Je repars vers le plafond. La belle fin de vol est gagnée. Arrivé au niveau d’une nuelle dans un vario faiblard, je devine enfin Epinal, 30 km plus loin sans doute. Ca me semble inatteignable tant les thermiques sont faibles. Mais je reviens de tellement loin que je ne vais plus rien lâcher avant la fin de convection. Je finis ma journée en dessinant des dizaines de tours sous chaque nuelle qui veut bien apparaître. Le vent, qui a cependant nettement faiblit, fait le reste et petit à petit j’arrive à hauteur d’Epinal. Et je rentre dans les VOSGES. C’est un grand plaisir. Les petites collines alternent avec des prairies toutes vertes baignées de soleil. C’est une belle campagne, bien agencée, une campagne qui semble tondue et taillée avec soin. De loin en loin un clocher bien restauré fait entendre un son de cloche. Il est 18 heures trente. Cela fait 6 heures que je suis parti d’Eaux-Puiseaux. La fin de vol approche. Je passe un premier col avec une marge confortable. Puis un deuxième. Il n’y a pas de brise, tous les arbres sont immobiles. Je me laisse dériver sous le vent, qui a d’ailleurs quasiment disparu, et j’entame mon plané final au-dessus d’une jolie vallée. Je pose au beau milieu de celle-ci, dans un jardin vosgien. Au gazon bien entretenu. Il est presque 19h00. Je suis sûr d’avoir dépassé les 200 kilomètres. Je replace mes piles dans le garmin qui contient le point GPS d’Eaux-Puiseaux : 217 km. C’est ma plus belle distance en France. Je suis à une dizaine de kilomètres de Saint-Dié-des-Vosges. J’appelle Julien, il a posé vers 17h00 au 185ième kilomètre. Daniel a fait sa plus belle distance
avec 194 km. La prochaine fois on pose en Allemagne ! La récup sera longue et la nuit, passée dans le train Nancy-Paris, fort courte. Mais qu’importe, quand la journée a été aussi belle…
Franck Arnaud.
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